Les collectivités locales et la moralisation de la vie publique

Publié le par Ingrid-Hélène

 

  

La Constitution définit la République comme « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » ; cela suppose que l'intérêt du peuple est supérieur à celui de ses dirigeants et n'est pas compatible avec la corruption, le clientélisme, le conflit d'intérêt, etc. au risque non seulement de sortir de la soumission au principe de légalité, mais aussi de désintéresser les citoyens de la vie publique.

 

Les collectivités locales ou, selon la terminologie actuelle, territoriales, ont vu leurs compétences accrues, et elles sont aussi les administrations les plus proches des citoyens : leur rôle dans la moralisation de la vie publique semble donc particulièrement important. Cependant, les collectivités territoriales doivent aussi avoir une politique efficace et les procédures pour garantir la transparence, l'égalité, etc. sont parfois lourdes. De plus, plusieurs affaires peuvent être recensées qui montrent que la moralisation n'est pas acquise d'avance. On peut se demander si la moralisation de la vie publique est compatible avec l'efficacité des collectivités locales.

 

De part leur proximité géographique avec les citoyens, qui élisent leur organe exécutif au suffrage universel direct, les collectivités locales ont un rôle particulier en terme de moralisation de la politique, et elles n'arrivent pas toujours à le tenir ; de nouveaux outils législatifs, de procédures comme de contrôle, se mettent en place mais sont-ils efficaces?

 

I. De part leur proximité avec les citoyens et leurs attributions, les collectivités sont particulièrement concernées par le thème de la moralisation de la vie publique.

A. La moralisation de la vie publique est un thème qui prend de l'importance

La notion de moralisation de la vie publique s'est développée dans les années 1980 et l'idée n'a cessé de prendre de l'ampleur au fur et à mesure que des affaires apparaissaient. La moralisation est un processus d'inculcation de normes et de valeurs morales. On introduit ici une notion de bien et de mal, alors que le principe couramment admis est la soumission des administrations au principe de légalité, qui est plus objectif. Néanmoins, depuis la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les notions de bien et de mal sont souvent confondues avec celles de droits de l'homme. La Déclaration des droits de l'homme faisant parti du bloc constitutionnel, sont respect est inclus dans le principe de soumission au principe de légalité. De plus, la loi est conçue pour protéger le citoyen, garantir les libertés et l'égalité entre citoyens. En ce sens, appliquer au mieux la soumission à la loi et plus largement au droit, est la façon la plus évidente de moraliser la politique.

La moralisation de la vie publique, au-delà des administrations concerne aussi les partis politiques. Ces deux aspects sont liés, les administrations étant gérées par des organes exécutifs élus. Néanmoins, si les administrations ont leur propre droit depuis longtemps, la réglementation des partis politiques est plus récente et on recense des cas de financement occulte. La partie financière de la vie politique, à tous les niveaux, et celle qui a vu le plus de lois produites en lien ou non avec des affaires (frais de bouche de la mairie de Paris, affaire Elf, emplois fictifs...). On peut citer la loi du 11 mai 1988 sur la transparence financière de la vie politique, ou plus tard, la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption.

Les financements européens (fonds structurels, Fonds social européen, Jessica, Jaspers, etc.) doivent être de plus en plus transparents. Ainsi les Etats doivent fournir la liste des personnes aidées par les fonds structurels. Cela impliquera de plus en plus une transparence de la part des collectivitésbénéficiaires ou demandeuses aussi.

La moralisation de la vie publique est une exigence de plus en plus importante des citoyens comme de la plupart des instances locales, nationales ou internationale, et les collectivités locales sont particulièrement touchées.

 

B. Proche des citoyens et ayant des moyens pour agir les collectivités territoriales sont particulièrement touchées

On peut plaider que la démocratie locale, en accroissant les responsabilités, dans les domaines où les citoyens sont le mieux à même de juger aux actes, favorise la moralisation de la vie publique en même temps qu’elle en augmente l’efficacité. La décentralisation permettrait un décloisonnement politique, et de ce fait une meilleure assise de l’Etat unitaire. Dans les faits, elles n'ont pas fait meilleure figure que l'Etat ou les partis politiques, avec des affaires comme les « frais de bouche » des époux Chirac, ou les affaires Dauphiné News et Grenoble Isère développement mettant en cause Alain Carignon.

Les collectivités territoriales ont en charge de nombreuses compétences touchant aux appels d'offre ou aux délégations de services publics. Les premiers concernent de très nombreux services et actions, comme la construction de rond-point, de bâtiment, la réalisation d'une étude dans le cadre d'une mission de la collectivité concernée, etc. Le code des marchés publics réglemente les apples d'offre ainsi que les procédures adaptées, selon des principes de base : la liberté d’accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures. Ainsi, il est interdit de favoriser un opérateur économique (Délit de favoritisme visé par l'article 432-14 du code pénal y compris pour les marchés de faible montant) et un délai raisonnable doit être laissé entre l'information du rejet de la candidature ou de l'offre et la signature du contrat y compris pour les procédures adaptées. Cependant, l'existence d'un code des marchés publics ne constitue pas une assurance contre des dérives, comme l'a montré l'affaire des marchés publics truqués d'Ile-de- France, impliquant plusieurs partis politiques (RPR, PR, PS) et cinq sociétés de bâtiment, et où ces dernières se retrouvaient favorisées en échange d'un surplus financier qui a servi au financement des partis.

La délégation de service public (abrégé en DSP) est l'ensemble des contrats par lesquels une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé dont la rémunération est substantiellement liée au résultat d’exploitation du service. Elle touche de nombreux domaines, comme le sport, la culture, mais aussi le traitement des déchets, l'assainissement, la distribution de l'eau, beaucoup plus lucratifs. La délégation de services publics est réglementée par la loi Sapin et par le CGCT. On peut citer l'affaire Dauphiné News où la Lyonnaise des eaux éponges les dettes du journal local après avoir reporté la gestion des eaux de Grenoble.

Ainsi, les collectivités territoriales concentrent de nombreux risques d'actions douteuses et, de par leur proximité locale avec les citoyens et leurs compétences, il est important que les moyens soient mis en place pour s'assurer la légalité de leurs actions. Pour cela, des outils réglementaires, législatifs ou de contrôle ont été développés, avec parfois des organes chargés de leur application. Si la moralisation doit être une priorité, les collectivités locales doivent être efficaces dans leurs missions d'intérêt général.

 

II. Les outils procéduriers et de contrôle se développent mais ils demandent des moyens et leur efficacité n'est pas toujours prouvée.

A. La transparence et les contrôles se sont accrus

Avec l'augmentation des exigences et depuis les années 1980, les textes sont nombreux concernant la moralisation de la vie publique, que ce soit sur le plan des dérives financières ou du clientélisme. On peut citer, outre la loi du 11 mars 1988 modifiée relative à la transparence financière de la vie politique, la loi du 29 janvier 1993, dite Loi Sapin, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, notamment ses articles 1er à 4 et 6, le décret du 22 février 1993 créant le Service central de prévention de la corruption... Les décrets peuvent concerner des domaines de façon générale (marchés publics, comptes annuels...) mais aussi lutter contre le clientélisme ou la corruption dans des domaines précis. Par exemple, dans le cas de l'attribution des HLM, l'article 2 du décret du 28 novembre 2007, relatif à la loi DALO (Droit opposable au logement), précise que « sauf en cas d'insuffisance du nombre des candidats, les commissions examinent au moins trois demandes pour un même logement à attribuer.» Concrètement, cela signifie que désormais les commissions d'attribution ont l'obligation de passer au crible ces trois candidatures, sans quoi l'attribution pourra être qualifiée d'illégale. Cette nouvelle obligation a pour but de moraliser les pratiques, car jusqu'à la publication de ce décret, le maire était seul détenteur du « droit de désignation ». Le but est de limiter le clientélisme, en permettant à la commission d'attribution des HLM de repérer les cas litigieux. Ainsi, l'Etat fait jouer aux commissions le rôle de police qu'il ne peut pas exercer avec les maires.

Les collectivités territoriales sont contrôlées de plusieurs façon par l'Etat, notamment à travers les préfets : contrôle de tutelle (contrôle de légalité), contrôle administratif sur les personnes et sur les actes, contrôle financier. En dehors de ce dernier, il s'agit de contrôles a posteriori et l'acte est exécutoire avant qu'il y ait une éventuellement mise en cause. Ces contrôles ne concernent que la légalité, et pas l'efficacité ou la pertinence.

Les actions publiques et politiques sont aujourd'hui très codifiées, et la transparence a été très largement accrue ; néanmoins on peut se demander s'il y a des limites au-delà des quelles il y a un risque de perte d'efficacité ou d'un trop grand besoin de moyens.

 

B. La moralisation nécessite des moyens parfois chronophages, mais pour garder l'efficacité c'est parfois les objectifs de la moralisation qu'il faut faire évoluer

Dans le contexte de renforcement continu des exigences de transparence des comptes publics et d’amélioration de la gestion publique, disposer de comptes fiables est, pour les collectivités territoriales et leurs partenaires, à la fois une nécessité et un atout. Le champ de compétences des juridictions financières, qui contrôlent tend à s’étendre mais les contrôles sont moins systématiques et plus sélectifs. De plus, les collectivités territoriales contrôlées disposent d’équipes de plus en plus qualifiées et développent des dispositifs de contrôle interne. La diminution du nombre de rapports d’observations définitives ne peut que partiellement s’expliquer par le développement d’autres types de travaux, notamment les enquêtes communes entre la Cour et les chambres régionales des comptes. L’autonomie des chambres régionales des comptes et la dispersion des moyens ne permettent pas de garantir une égalité de traitement entre différentes collectivités de même type en matière d’examen de la gestion. Au niveau quantitatif, l’activité des chambres apparaît hétérogène. Il n’existe à l’heure actuelle en France aucun dispositif obligatoire de contrôle légal et de vérification des comptes des collectivités et établissements publics locaux, à la différence de la situation qui prévaut dans la plupart des grands pays de l’Union européenne (Grande-Bretagne, Pays-Bas, Danemark, Grèce, Allemagne, Italie, Suède, Espagne). Toutefois dans les autres pays de l’Union européenne, le nombre des collectivités territoriales est bien plus faible qu’en France. On distingue deux grands dispositifs de contrôle légal des comptes dans ces pays : soit les collectivités publiques locales font certifier leurs comptes par des cabinets d’audit externe (Pays-Bas, Danemark, Grèce), soit cette mission de certification des états comptables et financier est réalisée totalement ou partiellement par des institutions publiques (Allemagne, Italie, Espagne). En Grande- Bretagne, les comptes des collectivités publiques font l’objet d’une certification supervisée par l’Audit Commission et réalisée soit en interne à cette institution, soit en externe par des cabinets d’audit privés. Au regard du très grand nombre d’organismes concernés, des contraintes et des coûts, il ne semblerait pas fondé, de l’envisager a priori pour tous les organismes publics locaux.

L’action publique doit d’abord être conforme aux lois et aux règlements : cela reste le fondement de l’Etat de droit. Les juridictions financières qui ont été créées pour effectuer un contrôle de régularité doivent donc rester fidèles à leur mission originelle et notamment à leur mission de juge des comptes. Cependant, on attend désormais de la gestion publique qu'elle soit également soucieuse d’efficacité et d’efficience, quel que soit le niveau où elle s’exerce : Etat, sécurité sociale, collectivités territoriales, établissements publics. La « performance » des administrations est en effet une nécessité démocratique (la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose ainsi, dans son article 15, que la société a le droit de demander des comptes à tout agent de son administration) ; elle est également devenue une composante essentielle de la compétitivité qu’impose la mondialisation. Cette performance implique la transparence de la gestion, mais aussi l’évaluation des résultats et la responsabilisation des gestionnaires.

De plus, parfois les problèmes ne viennent pas d'un problème de légalité, ni même de « morale » mais de compétences des agents en charge de certaines missions : ainsi, la crise financière actuelle a révélé l'existence de « dettes toxiques » dans de nombreuses collectivités. Ainsi, 36% de la dette Lilloise serait composée d'emprunts à haut risque, provoquant un risque actuariel supérieur à 60 millions d'euros. Il semblerait que les banques n'aient pas étaient très claires en proposant ces emprunts, et les collectivités n'avaient pas forcément les capacités d'estimer le risque. Sous l'impulsion de l'Etat, les collectivités territoriales et les banques ont signé, en décembre 2009, une charte de bonne conduite. Les banques s'engagent à ne plus proposer aux collectivités territoriales les produits les plus risqués et d'améliorer la communication sur les produits vendus. En contrepartie, les collectivités territoriales s'engagent à développer la transparence des décisions concernant leur politiques d'emprunt et de gestion. Cependant, cette charte n'est pas contraignante.

 

Pour des garanties de démocratie, il est indispensable d'assurer une vie publique transparente et respectueuse du droit. Le nombre des collectivités locales, le nombre des intervenants, les faiblesses humaines, etc. font que parfois le principe de légalité n'est pas respecté et des affaires plus ou moins graves apparaissent régulièrement. Les procédures pour moraliser le fonctionnement des collectivités territoriales se développent, et des organes de contrôles internes ou externes apparaissent ou voient leurs compétences évoluer. Néanmoins, lorsqu'il n'y a pas les moyens d'appliquer les décisions ou lorsque les intervenants incluent des partenaires privés cela peut-être compliqué et difficile à appliquer. Les exigences actuelles vont, de plus, vers plus d'efficacité, or il ne faut pas oublier, qu'outre le respect du principe de légalité, les collectivités territoriales doivent respecter la poursuite de l'intérêt général, la défense de l'égalité, la neutralité...

 

 

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